Les Relations Sino-Canadiennes : un Nouveau Partenariat Economique ?
Écrit par : Dezan Shira & Associates
Traduit par : Linh Tran Huy
Le Premier ministre chinois Li Keqiang a annoncé le début d’une nouvelle « décennie en or » pour les relations entre la Chine et le Canada lors de sa visite du Premier ministre canadien Justin Trudeau en septembre 2016.
Cela marque le premier déplacement effectué par un Premier ministre chinois dans le pays en 13 ans, survenu quelques semaines seulement après la visite en Chine également effectuée par Trudeau. Cette « décennie en or » a déjà porté ses fruits avec l’adhésion du Canada à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB) dirigée par la Chine et au lancement de négociations préliminaires pour un accord de libre-échange (ALE).
Ce langage optimiste utilisé pour caractériser les relations entre la Chine et le Canada marque une rupture avec la décennie précédente où le Canada, sous la direction du Premier ministre Stephen Harper, regardait la Chine avec un mélange partiel de suspicion et d’appréhension. Actuellement, bien que Trudeau cherche publiquement à consolider les liens sino-canadiens, plusieurs obstacles sont à surmonter.
Un an après la déclaration de cette « décennie en or », il serait judicieux d’examiner dans quelle mesure les relations entre la Chine et le Canada ont-elles véritablement progressé.
Un renouement des liens sino-canadiens
L’engagement du Canada vis-à-vis de la Chine manquait de cohérence sous l’administration Harper, de 2006 à 2015. Privilégiant les droits de l’homme et la sécurité dans ses relations avec la Chine, Harper a personnellement boycotté les Jeux Olympiques de Beijing en 2008 et son administration a exprimé son scepticisme par rapport aux investissements chinois au Canada. Suite à l’achat polémique de la société pétrolière et gazière canadienne Nexen par l’entreprise publique chinoise CNOOC, le gouvernement Harper a modifié la loi existante sur les investissements (Canada Investment Act) afin de restreindre les rachats par des entreprises publiques étrangères.
Cependant, suite à la pression du monde des affaires pour approfondir les liens avec la Chine, le Canada a signé l’Accord de Protection et de Promotion des Investissements Etrangers (Foreign Investment Protection and Promotion Agreement, ou FIPA) avec la Chine en 2012 et Toronto est devenu le premier pôle commercial du RMB en Amérique du Nord en 2015. Malgré une coopération accrue, le Canada a renoncé à devenir un membre fondateur de l’AIIB lors de son instauration en 2014.
L’administration Trudeau a déclaré publiquement son intention de s’engager avec la Chine de manière plus prononcée et stratégique. Trudeau disposait peut-être d’un avantage, compte tenu du fait que son père, le Premier ministre canadien Pierre Trudeau, avait contribué à ce que l’Occident reconnaisse la République Populaire de Chine dans les années 60 et 70. Le président chinois Xi Jinping avait d’ailleurs salué Trudeau père pour sa « vision politique extraordinaire » lors de sa première rencontre avec Trudeau fils.
Le gouvernement Trudeau semble respecter ses promesses de s’engager plus profondément avec la Chine. En plus de rejoindre l’AIIB et d’entrer dans des négociations pour un éventuel accord de libre-échange, le gouvernement a approuvé des investissements chinois pourtant controversés dans des zones sensibles.
Plus précisément, Hytera Communications, basé à Shenzhen, a obtenu l’approbation d’acheter Norsat, la société canadienne de communications par satellite qui compte parmi ses clients des acteurs cruciaux en matière de sécurité américaine. Le rachat a fait l’objet d’un examen de sécurité standard mais n’a pas fait l’objet d’un examen d’ordre de sécurité nationale, malgré les objections soulevées par les partis de l’opposition au Parlement canadien.
Bien que l’engagement accru avec la Chine puisse avoir des conséquences néfastes sur les relations avec les États-Unis (le plus grand allié du Canada), les acteurs canadiens se montrent de plus en plus réceptifs à l’idée. Stimulé par un isolationnisme croissant aux États-Unis et en Europe, le soutien pour un accord de libre-échange avec la Chine est passé de seulement 36 % en 2014 à 55 % en 2017, selon un sondage mené par la Fondation Asie-Pacifique.
Etant donné que le Canada est en train de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec les États-Unis et le Mexique, le renforcement de ses relations économiques avec la Chine contribuera à diversifier ses partenaires et à atténuer les risques. Pour Gary Shaben, directeur de la division Global Business Development de Dezan Shira & Associates, une coopération plus prononcée entre les deux pays ne devrait pas être utilisée comme tactique de négociation vis-à-vis de l’ALENA, mais devrait servir une stratégie d’engagement sur le long terme.
Shaben, expatrié canadien basé à Shanghai, a déclaré « qu’en raison de l’administration Harper, les flux commerciaux et d’investissement canadiens en Chine sont bien en retrait par rapport à d’autres pays. La grande majorité des investissements canadiens à l’étranger vise les marchés américains, et beaucoup pensent que le Canada s’appuie fortement sur le commerce avec les États-Unis, qui représente environ 75 pour cent de ses exportations, contre seulement 4,3 pour cent en Chine ».
Shaben a poursuivi en expliquant « qu’avec l’ALÉNA en cours d’examen et la baisse des prix mondiaux du pétrole, l’économie canadienne semble avoir besoin de diversifier davantage ses marchés et de viser le secteur international, et la Chine pourrait très bien offrir aux entreprises canadiennes des opportunités à ne pas manquer ».
Les opportunités commerciales et d’investissement au Canada
La principale motivation de la Chine dans la poursuite d’un accord de libre-échange avec le Canada est d’avoir accès à davantage d’énergie, de nourriture et d’autres produits. Le Canada est riche en ressources naturelles, qui dominent ses exportations vers la Chine.
Les produits agricoles tels que le bois, le canola, les métaux ainsi que les produits issus de la biotechnologie continueront d’être très convoités par la Chine. Cette dernière est déjà le plus grand importateur mondial de bûches et de bois, et la demande devrait croître malgré un besoin de moins en moins prononcé en termes de matières premières.
D’ici 2025, les Perspectives sur l’Approvisionnement en Bois de la Chine prévoit que les importations chinoises de bois et d’autres produits forestiers augmenteront de 60 millions de mètres cubes et représenteront environ 12 pour cent de la récolte totale de bois dans le monde. Le Canada est riche en produits forestiers, qui représentent environ sept pour cent des exportations totales du pays.
Bien que la Chine continue de stimuler la demande pour de nombreux produits, à mesure que son explosion industrielle s’estompe et que son économie se restructure, les relations économiques du Canada devront elles-mêmes changer en nature. Alors que la Chine convoitait originellement les produits canadiens afin de contribuer à ses projets de construction massifs ainsi qu’à son expansion industrielle, la technologie et l’expertise canadienne sont maintenant en vogue dans un contexte où la Chine tente de progresser dans la chaîne de valeur.
Un exemple serait celui de l’industrie de l’intelligence artificielle (IA). Malgré une main d’œuvre qui semble au premier abord peu nombreuse, le Canada reste en vérité en troisième place en termes du nombre d’employés dans le domaine de l’IA, selon un récent rapport de LinkedIn. En parallèle, la Chine ne compte que 50 000 employés dans le secteur de l’IA malgré sa population énorme et un soutien solide du gouvernement dans cette industrie.
Les entreprises canadiennes dans de tels domaines peuvent tirer parti de leur technologie et de leur expertise pour se développer dans les industries émergentes en Chine et tirer profit des incitations gouvernementales.
La Chine peut également bénéficier de l’expertise canadienne dans les domaines où elle fait face à d’immenses défis domestiques. Par exemple, le gouvernement chinois investit massivement dans les technologies afin de résoudre ses énormes problèmes environnementaux, et le vieillissement rapide de la population en Chine accroît la demande pour des services de soins aux personnes âgées ainsi que pour des nouvelles technologies médicales avancées.
Daniel Schaefer, expatrié canadien occupant le poste de Responsable en Marketing & Opérations chez Dezan Shira & Associates, note « qu’aux yeux du Canada, une économie de taille moyenne avec un grand nombre d’acteurs innovants, la Chine est un marché extrêmement attrayant. Les entreprises canadiennes cleantech axées sur les énergies renouvelables, les avancées techniques, la technologie de batterie et la technologie solaire trouveront des opportunités dans une Chine qui cherche actuellement de nouvelles formes renouvelables d’énergie ».
Cependant, bien que le Canada dispose des moyens et des compétences nécessaires pour révolutionner les secteurs liés aux nouvelles technologies et aux services, le pays regorge encore de possibilités inexploitées dans ses industries plus traditionnelles axées sur les ressources, bien que largement à travers les biens de consommation plutôt qu’à travers la vente de matières premières. Shaben remarque que « le secteur alimentaire et des boissons est le deuxième secteur manufacturier du Canada. Ses atouts dans les produits agricoles et liés à la santé s’harmonisent également bien avec la demande chinoise ».
Les avantages pour les entreprises canadiennes
La Chine et le Canada sont des économies hautement complémentaires.
La Chine a besoin des ressources naturelles et de l’expertise technique du Canada, tandis que ce dernier a besoin des produits manufacturés à coûts abordables de la Chine et de l’accès à son vaste marché de consommation. En outre, l’approfondissement du commerce et des investissements bilatéraux avec la Chine aiderait le Canada à réduire sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, un acteur qui ne cesse de gagner en imprévisibilité.
Le gouvernement Trudeau a accordé une plus grande priorité aux relations bilatérales sino-canadiennes. Toutefois, bien que la Chine et le Canada soient aux premiers stades d’une « décennie en or » manifeste, le Canada a besoin d’une approche plus cohérente et plus holistique en Chine que celle encouragée lors de la dernière décennie.
Si un accord de libre-échange se concrétise, plusieurs années seront nécessaires pour que les négociateurs acceptent les termes et que l’accord prenne effet. Pour le moment, les entreprises canadiennes peuvent tout de même tirer profit des opportunités émergentes dans l’Empire du Milieu.
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