Pourquoi les Etats-Unis ne gagneront pas la bataille des devises face à la Chine
Op/Ed Commentaire: Chris Devonshire-Ellis
« Au cours des 20 dernières années, l’Amérique productrice est devenue consommatrice. Et tout les consommateurs savent que lorsque le producteur joue un air de musique, ils n’ont d’autre choix que de danser. C’est ainsi que les choses s’orchestrent. » (Gil Scott-Heron, “B-Movie”, 1981)
18 Mars – Les États-Unis intensifient la pression sur la Chine pour qu’elle laisse le Yuan s’apprécier. Mais de plus en plus de personnes commencent à réaliser ce dont l’Amérique est réellement capable pour forcer la main de Pékin.
Une grande partie de sa stratégie consisterait à intenter des procès pour manipulation de devises contre la Chine, ce qui pourrait conduire, si l’on découvrait que la Chine manipule effectivement sa monnaie, à une mise en place de droits de douane sur les produits chinois à destination de l’Amérique. Ceci est donc un moyen de pression sur la Chine pour la forcer à réévaluer le Yuan. D’un autre côté, ce type de stratégie fragiliserait la capacité de la Chine à racheter la dette américaine. Avec quelques billions de dollars qui doivent impérativement être financés l’an prochain, l’Amérique a besoin de tous les acheteurs potentiels.
Le fait que la Chine manipule le Yuan est, depuis longtemps, devenu fort probable. Elle joue intelligemment sur les deux tableaux : celui de l’OMC (dont la Chine a toujours été le membre le plus litigieux, malgré le fait que sa balance commerciale joue largement en sa faveur) et celui du Fond Monétaire International, où les rapports sur les mesures de devises sont gardés secrets, pour faire face à la crise financière mondiale. Ceci indique que la Chine tourne en effet les règles du jeu du commerce international à son avantage. « Au diable l’éthique, tant que nous gagnons » semble dire le peuple Chinois. Washington assiste avec un certain embarras aux événements. Le commerce mondial ne devait pas prendre cette tournure.
Toutefois, les économistes et analystes semblent oublier, lorsqu’ils se penchent sur la question du yuan, qu’en réalité, cela n’a pas une grande importance. Washington pourrait faire appliquer des droits de douane sur les importations chinoises. Mais cela pourrait déplaire à la Chine et la forcer à dénoncer ce cas de protectionnisme à l’OMC. Par ailleurs, les droits de douane désavantagent également les consommateurs américains. En effet, réévaluer le yuan ou libérer sa convertibilité n’encouragera pas les consommateurs chinois à acheter d’avantage de biens américains.
Pour faire simple, la Chine ne veut pas, ou n’a pas besoin des biens de consommation américains. Ils sont considérés comme chers, étrangers et inadaptés à la culture locale et parfois tout simplement stupides ou inutiles. Un grand nombre de sociétés américaines impliqué dans la consommation domestique se sont cassé les dents en tentant d’envahir le marché chinois, de généraliser et de rendre leur produits culturellement acceptables. Certes, Coca-Cola, McDonald’s, Dell, Apple et Starbuck’s en sont des contre-exemple, mais financièrement ce sont des géants. En dessous de ce niveau stratosphérique, peu ou pas d’études de marché ont été faites, peu ou pas d’études sur les préférences des consommateurs chinois ni celles de la myriade de variations régionales, et peu ou pas de tentative pour renommer ou repositionner les produits qui ont du succès aux Etats-Unis, pour les adapter à la Chine, où ils étaient jusqu’alors inconnus. Les Reese’s Pieces ? (bonbons américains) Oubliez-ça. Vous n’en trouverez nul part. En tant que militant, brillant (et souvent ignoré par la société blanche des Etats-Unis), le poète noir de Chicago (cela vous rappelle-t-il quelqu’un ?), Gil Scott-Heron, a déclaré en 1981 à Ronald Reagan, « Lorsque le producteur joue un air de musique, le consommateur doit danser ». Scott-Heron avait souvent tort, et pourtant, ses mots résonnent aujourd’hui comme effroyablement véridiques, même si on les applique à de toutes autres circonstances.
Ce qui est consternant, c’est que depuis 20 ans d’ouverture de la Chine sur l’Occident, l’Amérique n’a toujours pas trouvé le moyen de lui vendre quoi que ce soit. Car après tout, ce déficit commercial croissant a été un avertissement depuis combien d’années, au juste ? La bataille des monnaies n’aura d’autre issue que de nuire aux consommateurs américains en augmentant les prix des biens de consommation aux Etats-Unis. En réalité, la Chine a appris à vendre avec succès aux Etats-Unis, tandis que l’industrie de biens de consommation américaine est restée en arrière et s’est contentée d’observer de manière passive le déroulement des événements sans en tirer de leçon. Ceci n’est en aucun cas la faute de la Chine.
En effet, s’il existait un responsable des exportations mondiales de l’Amérique, il serait sûrement tenté de prendre des mesures correctives contre les managers en charge des exportations vers la Chine, puisque la croissance de leurs ventes aurait été bien inférieure à la croissance du PIB annuel du pays destinataire. De toute évidence, l’Amérique a pris du retard sur la Chine au niveau de l’exportation. Il est possible de pardonner le développement d’une nation en plein essor, ainsi que ses mouvements et secousses politiques, mais pas si elle constitue une menace pour l’Amérique, n°1 mondial. Les Etats-Unis ont utilisé l’OMC pour favoriser les échanges : distribuer les produits américains à l’étranger et bénéficier d’exportations étrangères sur leur territoire. Tout cela est bien beau, mais que se passe-t-il lorsqu’un pays de la taille de la Chine ne veut pas acheter ? Ou lorsque les produits américains sont considérés comme n’ayant pas leur place dans la culture chinoise ?
L’Amérique doit réveiller ses exportations en Chine, et ce très rapidement, parce que ses produits de consommation actuels sont orientés presque entièrement vers un unique groupe de consommateurs dont l’effectif est susceptible de diminuer. Il est composé presque exclusivement de blancs de classe moyenne. La nation ne s’est tout simplement pas adaptée correctement aux initiatives d’ouverture commerciale qu’elle a si fortement défendues. Il est temps pour l’Amérique de ré-étalonner ses activités. Tout comme la Chine, qui a reconnu être trop dépendante de l’exportation de produits manufacturés et qui a besoin aujourd’hui de développer son marché interne, et l’Inde, qui a reconnu être trop dépendante du secteur des services et doit à présent se diversifier dans le secteur manufacturier, l’Amérique doit passer d’une société dépendante de la consommation à un système qui recommence à produire et à vendre.
Les Américains finiront peut-être par remarquer que l’on retrouve très peu de caucasiens de classe moyenne américaine en Asie, encore moins en Chine. Une bataille de devises avec la Chine ne règlera donc pas le véritable problème : l’Amérique ne réussira pas à commercialiser – et est actuellement dans l’incapacité même d’essayer de vendre – ses propres produits de consommation dans les marchés émergents.
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